Alphonse Trapu est un provincial fini, farouchement enraciné dans ses sillons. Un drôle de corbeau niché au fin fond du cul de la France...
C'est un provincial, un vrai, un dur, un qui pue le fromage et le gros sec jusqu'au fond du gosier. Un des "comme on n'en fait plus", un tout crotté de la tête aux pieds. Un de ceux "à qui on ne la fait pas". Un provincial irréductible, incorrigible, incorruptible... Irrécupérable. Définitivement, désespérément, dramatiquement allergique à la capitale.
Bref, un bouseux dans la tête, dans le coeur et dans l'âme, fier de son sort, ne souhaitant pas d'autre horizon que son clocher ni de piédestal plus haut que son tas de fumier.
A ses yeux tout citadin est un ennemi : un fainéant, une mauviette, voire une tapette.
Toutes les femmes qui ne portent pas sabot au pied sont pour lui nécessairement des "grosses morues de la ville", des "vraies putains de Paris", ou bien des "sales fumures de dépensières"...
Comme on le voit, Alphonse Trapu a des préjugés d'un autre âge, des sentiments d'un autre monde et ne fait pas dans la dentelle pour les exprimer ! D'ailleurs il ne se gêne pas pour cracher ce qu'il a sur le coeur à chaque fois que l'occasion se présente, c'est à dire quasiment jamais étant donné qu'il vit reclus dans son trou comme un vieux sanglier.
Chez lui pas d'électricité, pas d'eau courante, pas de savon.
Il s'éclaire à la chandelle, se chauffe à la cheminée, se "frotte la couenne" avec la cendre. Tout à l'ancienne.
D'une pingrerie prodigieuse, il économise sous après sou, jour après jour, âprement, patiemment, éperdument. Depuis toujours il se prive de tout. Pour rien, ou presque : juste pour le plaisir stérile d'économiser.
Dur avec lui-même, impitoyable avec les autres, il se lève tôt et se couche tard été comme hiver, refuse de s'accorder le moindre baume, la plus petite douceur, et tout cela pour ne surtout pas ressembler à ces "sacrés fainéants de bourriquots de pédés de parisiens" qu'il a en horreur...
Notre bonhomme est un phénomène. Un être fruste, arriéré, peu amène. Cependant j'apprécie sa compagnie dénuée de simagrée, son odeur saine de foin et de crottin de cheval, ses outrances empreintes d'un certain bon sens. J'apprécie sa rébellion bien plus que la délicatesse, la sophistication de bien de ses contemporains dégénérés à l'extrême eux. Je préfère côtoyer ce "rebelle des bois" qui me fait rire et m'inspire plutôt qu'à l'opposé ces dénaturés qui m'affligent.
Alphonse Trapu est le dernier des Mohican de notre société embourgeoisée, le hibou mal emplumé de nos esprits abrutis par le vacarme ambiant, de nos coeurs endormis ayant rompu le contrat millénaire qui les liaient à la terre nourricière paysanne. Mais laissons le dernier mot au héros de cette histoire :
- "Sacrés fainéants de bourriquots de pédés de parisiens !"
dimanche 20 mai 2007
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